La naissance de l’agent littéraire (1/3)

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Un chassé-croisé avec l’auteur et l’éditeur

L’Agence littéraire Ægitna s’inscrit dans une longue histoire collective qui donne l’opportunité d’un panorama. A travers lui, il est question de se situer dans une histoire importante, et d’y rappeler la place (et le rôle) des agents dans cette dernière : en effet, l’espace de l’édition francophone si centralisé soit-il, voit se développer au cours des 30 dernières années -essentiellement en France- des agences littéraires représentant des auteurs de langue française. Dans quel contexte ? Dans quelles ruptures et continuités ? Article publié en trois parties en partenariat avec Africultures.

Remontons au 18e siècle ; l’histoire de l’agent littéraire y serait amorcée, en France, sur les tables d’un certain André Le Breton, qui allait devenir le premier éditeur officiel de l’histoire en coordonnant le projet de L’Encyclopédie. Cette mythologie s’installe dans une rupture initiale, acte fondateur de la prise de position des éditeurs dans un milieu jusqu’alors centralisé autour des mécènes et protecteurs, imprimeurs libraires de l’ancien régime, autorisations royales et positions d’auteurs. La figure de l’auteur va alors perdre un peu de son centralisme, entrer dans un âge de professionnalisation, et le pacte originel éditeur-auteur sédimenter une relation d’amour parfois équivoque et bien souvent belle réussite. La figure de l’auteur moderne et le métier d’auteur travaillant son image et sa posture (l’auctorialité) naissent aussi.

Mais d’un chassé-croisé il est aussi question, car si l’auteur perd de son pouvoir, cela suscite des réactions, à l’image de l’autrice qu’est George Sand qui, soucieuse de la gestion de ses intérêts, va propulser l’émergence d’une nouvelle figure au tournant du milieu du 19ème siècle. Un tournant donc. Bienvenue à l’agent littéraire et à Emile Aucante, première personne à incarner ce rôle, et qui, sous l’impulsion de George Sand, créé l’Agence Générale de Littérature en 1858 à Paris. L’idée est de défendre les intérêts de Sand auprès des éditeurs parisiens, et de réimposer l’autrice dans la maitrise de ses droits et de la dynamique de son œuvre. Acte fondateur et prométhéen donc, qui fera long feu dans ce nouvel âge littéraire. Emile Aucante fait faillite et est par la suite employé aux éditions Calmann Levy, éditeur de George Sand. La boucle était pour le moment bouclée, dans l’espace éditorial français.

Car l’édition française se renforce effectivement à cette époque, se dote de son propre appareil de représentation internationale, à l’image du Bureau International de l’Edition Française, enraciné dès 1873. Ce n’est donc pas en France que l’agent prospère en premier lieu. En effet, deux décennies après les déboires d’Emile Aucante, le premier agent littéraire officiel est londonien ; A. P. Watt fonde en 1875 la première agence littéraire internationale, qui cessera ses activités au début des années 2000.  Entre temps, la Watt Agency impose un métier nouveau et discret (aucune photographie ne demeure de lui), structuré dans un contexte d’institutionnalisation du droit d’auteur à l’échelle mondiale.  Avec Watt, welcome à l’agent littéraire international, et à cette relation étroite, parfois mouvementée, entre auteurs, éditeurs et agents littéraires. Nous sommes au tournant du 19ème siècle, et à un moment clef de cette histoire des lettres. C’est aussi le tournant de l’époque coloniale et de la conférence de Berlin, the scramble of Africa.

Espaces centraux et illusions perdues

Si le lien peut sembler éloigné, il y a ici un rapport avec la littérature et l’édition : cette connexion indélébile des lettres avec le pouvoir et sa force d’inclusion et d’exclusion qui n’avait pas échappé à Madame de Staël dès 1800 : De la littérature considérée dans ses rapports avec les institutions sociales est une étude fondatrice et fondamentale de l’espace littéraire, jamais détaché du réel qui l’entoure, quand bien même le rêve d’une littérature affranchie de toute imposition extérieure a la dent dure. Tous les milieux ont besoin d’entretenir l’histoire de leur fondation sur une part de mythe et d’ex nihilo.

Relation étroite aussi, car le tournant du 20ème siècle est celui de l’internationalisation littéraire forte d’un droit d’auteur toujours renforcé, et du sacre de l’écrivain à travers ses éditeurs. Du Nobel au Goncourt, voici un nouveau chassé-croisé qui, au final, ne fait que renforcer une relation désormais intouchable entre espaces de consécrations et stratégies d’écrivains et d’éditeurs. Ils sont alors surtout au Nord, et certainement pas dans les pays colonisés. Il est effectivement ici question d’écrivains des espaces centraux. L’espace du Nord donc, et ses lieux d’avènement des carrières, de leurs chutes, de leurs aléas et de leurs illusions parfois perdues, où les chiffres le disputent aux lettres et vice et versa.

Espaces centraux qui s’étendent, s’organisent et s’imposent toujours mieux, en justifiant et défendant leur propre centralisme. L’espace colonial se mêle peu à peu, de manière périphérique, des dynamiques du monde littéraire, et l’agent littéraire y est notoirement absent. Les littératures des pays colonisés sont des littératures coloniales qui, bien souvent, participent et justifient à l’effort colonial, sinon missionnaire. De Thomas Mofolo à René Maran, en passant par la floppée de récits et romans issus du corpus infini de la littérature et de l’éthnologie coloniales (essentiellement des colons et des missionnaires), l’écrivain y est souvent -pas uniquement mais principalement- un enjeu de pouvoir, une question politique de bas de page, un argument de positions et de hiérarchies relativement claires. Ceci participe à cette fabrique de « l’autre », issue d’une vieille histoire teintée d’orientalisme et d’exotisme, que les relectures modernes de Félix Couchoro ou de Paul Hazoume commencent enfin à réviser. Les agences littéraires internationales prospèrent elles bien loin de ce monde-là dans l’entre-deux guerres, sans ces auteurs des espaces colonisés, sans ces traductions. Quelques prix, missionnaires, coloniaux (Njemba Medou au Cameroun, Lomami Tchibamba au Congo Belge) viennent rappeler que les littératures des pays colonisés existent littérairement, mais que le véritable espace éditorial, celui des enjeux économiques et de la traduction est, lui, ailleurs…

Raphaël Thierry

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Cet article est publié en partenariat avec Africultures (www.africultures.com)

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